Réhabilitation du bosquet du Théâtre-d’Eau de Versailles

Le paysagiste Louis Benech et le plasticien Jean-Michel Othoniel vont réinventer un écrin de verdure et de fontaines voulu par Louis XIV et enseveli depuis.

Aquarelle présentant le projet de Benech et Othoniel pour le bosquet du Théâtre-d’Eau à Versailles. – Dessins Fabrice Moireau

Vous aimez les jardins et la danse. Devant votre château, vous avez fait aménager un vaste parc ponctué de bosquets. Au milieu de l’un d’eux – le bosquet du Théâtre-d’Eau -, des fontaines et des cascades entourent une grande scène où vous aimez venir danser : il y a de la musique, les vivats des courtisans, le chant du vent dans les arbres et le rire permanent des jets d’eau. Vous êtes Louis XIV.

Vous êtes le Roi-Soleil, mais, hélas, vous êtes mort maintenant, et le bosquet du Théâtre-d’Eau ne vous a pas survécu longtemps. Elaboré par Le Nôtre et Le Brun (pour les fontaines) entre 1671 et 1674, cette parcelle carrée de 180 mètres de côté était d’un entretien fort coûteux. Si bien qu’un siècle plus tard, ce «salon de plein air» a été radicalement réaménagé par Louis XVI : plus de scène, plus de gradins engazonnés, plus de cascades mais simplement une grande pelouse dans une clairière. L’ancien paradis de la gigue et du rigaudon a pris alors le nom de bosquet du Rond-Vert. Puis, quelques tempêtes sont passées par là, qui ont parachevé cet effacement. Au point qu’aujourd’hui l’endroit n’est plus utilisé que pour entreposer du matériel. Un terrain vague. Fin de la danse.

«Je suis un caméléon»

Mais pas fin de l’histoire puisque lors son règne à la tête du domaine de Versailles, Jean-Jacques Aillagon a lancé un concours pour la réhabilitation du bosquet, ou plutôt sa «réinterprétation»par des jardiniers contemporains. A été retenu le projet du paysagiste français Louis Benech, associé au plasticien Jean-Michel Othoniel. Les travaux commenceront le mois prochain, quatre cents ans tout ronds après la naissance de Le Nôtre. Le nouveau bosquet du Théâtre-d’Eau (qui reprendra son nom) sera ouvert aux visiteurs de manière permanente à partir de mai 2014. Mais il faudra laisser quelques années aux végétaux pour que se dessine vraiment l’écrin de verdure.

Pour la première fois depuis Louis XVI, on va donc faire du neuf dans le parc de Versailles. Moment historique, un peu écrasant pour les intéressés, qui dévoilent leurs projets presqu’avec timidité, en faisant allégeance au roi, à Versailles, à l’histoire. Dans son bureau proche des Buttes-Chaumont à Paris, Louis Benech montre quelques plans, en soulignant : «Je suis un caméléon. J’essaie toujours de me lover dans l’histoire dans laquelle j’entre.» Jean-Michel Othoniel, dont le lumineux atelier domine le quartier du Marais, exhibe quelques maquettes en assurant : «Mon impératif, c’est de parler de Louis XIV de façon contemporaine, pas de mes obsessions propres.»

Ceci étant dit, voyons la chose : le futur bosquet sera bien un jardin contemporain, intime, renouant avec l’idée du théâtre. Un écrin de chênes verts abritera une clairière «de lumière et d’eau»où le visiteur découvrira un bassin parsemé d’îles. A fleur d’eau planeront d’étranges séries de sphères dorées. L’ensemble sera une grande scène avec tout autour de vertes coulisses et des couloirs d’ombre.

Louis Benech, 56 ans, est un des grands noms du jardin contemporain. Sa carrière a vraiment débuté en 1990 lorsque, associé à Pascal Cribier et François Roubaud, il a réaménagé la partie ancienne du jardin des Tuileries, à Paris. Première rencontre avec André Le Nôtre ! Puis il a travaillé un peu partout en France (des jardins de l’Elysée au parc de Chaumont-sur-Loire) et à l’étranger. Il n’a pas vraiment de «style», juste la volonté affirmée d’insérer ses projets dans le cadre naturel et architectural préexistant (1). Ses interventions peuvent concerner une parcelle de 80 m2 dans le quartier de Sheperd’s Bush, à Londres, comme un terrain de milliers d’hectares en Nouvelle-Zélande.

Résonner avec un environnement est plus complexe que d’accorder des rideaux avec un papier peint : c’est un travail intellectuel qui n’est pas toujours immédiatement déchiffrable à l’œil nu. La perception de l’harmonie vient avec le temps. Et avant de pousser sur la terre, les jardins poussent sur les mots, dont Louis Benech n’est pas avare. Il aime les plantes, les arbres et les talus des bords de route. Se définit comme un «anti-Le Nôtre» car il rechigne à se faire terrassier, ne se voyant pas modeler des paysages à coups de tractopelle. «Une feuille vierge en matière de jardin, c’est extrêmement rare. On part toujours de quelque chose», affirme-t-il. A Versailles tout particulièrement. Même si un bosquet est un espace fermé où le bout d’histoire et de verdure que l’on doit réinterpréter est nettement circonscrit. Benech s’est plongé dans le grand récit de Versailles, et jusque dans les fouilles archéologiques faites récemment dans le bosquet. Il en est revenu avec des esquisses ainsi qu’une provision d’essences pour nourrir le nouveau théâtre : charmes, érables, catalpas, ormes de Samarie.

Au-dessus des bassins planeront donc des boules de verre dorées entrelacées de jets d’eau : l’intervention de Jean-Michel Othoniel. Les deux hommes ne se connaissaient guère mais, lors d’une rétrospective du plasticien au centre Pompidou en 2011, Benech avait été surpris de constater à quel point les œuvres du premier savaient parler à tous, y compris aux enfants (chacun a en tête le décor joyeux de verre coloré qu’Othoniel a réalisé pour une des sorties du métro Palais-Royal, place Colette, à Paris). Or, le paysagiste voulait faire de son bosquet un lieu gai et accueillant.

Jean-Michel Othoniel, 48 ans, est passé d’œuvres tourmentées, sculptées dans le soufre, à des choses plus spectaculaires, faites de ce verre soufflé dans laquelle son image publique est désormais taillée. C’est un garçon doux et anxieux, comme Benech. Lui aussi est allé creuser l’histoire de Versailles. Il en a rapporté ce drôle de projet : «faire danser le roi sur l’eau», ainsi qu’il le résume.

Sculptures à la feuille d’or

Louis XIV n’est plus disponible, mais il nous reste sa Manière de montrer les jardins de Versailles, minutieux guide de visite que le souverain a écrit comme une quasi-chorégraphie. Il nous reste aussi le Recueil de danses, de Raoul Auger-Feuillet, chorégraphe et danseur contemporain de Louis XIV qui fut l’inventeur d’un système de notation de la danse. Son recueil est une collection de jolies arabesques décrivant pas à pas sarabandes et autres gigues à deux. Dans ces dessins, Othoniel a vu tout à la fois l’histoire et le mouvement, l’empreinte du roi et la légèreté du lieu. Ses sculptures à la feuille d’or (plusieurs centaines de kilos en tout) vont donc reproduire quelques-uns des mouvements notés par Feuillet. Il ne sera pas inutile d’avoir ces informations en tête en découvrant le bosquet l’an prochain (2).

Dernier acteur de cette réinterprétation : le photographe, poète, peintre, entrepreneur, philanthrope (etc.) et mécène coréen Ahae. Ce septuagénaire très choyé par les institutions culturelles françaises a accepté de prendre en charge le coût du nouveau bosquet, soit 1,4 million d’euros. L’an dernier, les photos d’Ahae ont été présentées dans une expo organisée dans le jardin des Tuileries (Libération du 5 août 2012). Elles le seront à nouveau cet été dans l’orangerie de Versailles.

(1) Lire «Louis Benech, douze jardins en France», éditions Gourcuff Gradenico, 2012, 39 €.

(2) Le visiteur consciencieux lira aussi un article résumant bien la philosophie du projet : «Lieux scéniques et chorégraphie du parcours : les jardins de Versailles et la danse sous Louis XIV», d’Hervé Brunon, in les Carnets du paysage, n°13-14, 2006.

Par EDOUARD LAUNET – 23/03/13 – Libération

Publié par artotec

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