L’impossible reconversion
L’impossible retour après la Révolution
Alors, que faire de Versailles ? Si la résidence royale est plongée dans le silence depuis la fameuse journée du 6 octobre 1789, la question ne se pose qu’avec l’abolition de la monarchie puis l’exécution de Louis XVI. Après Varennes, les fleurs de lys et les couronnes disparaissent. Les plus beaux meubles sont vendus. Des voix se font entendre pour raser le château, le conventionnel Charles Delacroix suggérant que « la charrue passe ici ». L’opération se confirme trop coûteuse. Alors par manque de moyens, la Convention décide d’annexer le palais à la république. Après avoir décidé de la vente des meubles, les jardins sont mis en culture, les animaux de la ménagerie transférés au Muséum d’histoire naturelle à Paris. A l’instar de l’ancien couvent des Petits-Augustins transformés par Alexandre Lenoir en musée des Monuments historiques, le château accueille un musée spécial de l’Ecole française dédié aux oeuvres des XVIIe et XVIIIe siècles. Sous le premier empire et la restauration, le domaine reprend son statut de résidence mais le souvenir du départ forcé de la famille royale plane comme une malédiction et dissuade les souverains de s’y établir. « Pourquoi la Révolution qui a tant détruit n’a-t-elle pas aussi démoli le château de Versailles ? » s’interroge Napoléon qui confie finalement à l’architecte Alexandre Dufour le soin de construire un pavillon destiné à répondre à celui de Gabriel. Mais une fois encore, face au coût colossal des travaux, il renonce à lancer le chantier d’une façade monumentale néo-classique qui en aurait fait une résidence impériale digne de son union avec Marie-Louise d’Autriche. Né à Versailles qu’il quitte en 1789 à l’âge de 34 ans, Louis XVIII envisage de s’y installer lors de la restauration et fait entreprendre d’importants travaux de restauration des appartements, accompagnés de commandes pour leur ré-ameublement. Suite au retour manqué de Napoléon, il préfère toutefois renoncer à ce projet craignant qu’il soit interprété comme une provocation. Pourtant très attaché aux valeurs de l’Ancien Régime, Charles X joue également la prudence. Il se contente de poursuivre les travaux lancés par son frère sans envisager d’y résider.
Un musée pour sauver le château et la royauté ?
C’est à son successeur, Louis-Philippe, que revient le mérite de trouver une utilité à un château qui n’en a pratiquement plus. Monté sur le trône à la suite de la révolution de 1830 et de l’abdication de Charles X, le nouveau roi rejette l’idée de transformer le château en hôpital militaire ou en collège royal pour privilégier l’aménagement d’un musée consacré à l’histoire de France. Issue de la branche cadette des Bourbon qui aura vu Gaston d’Orléans s’élever contre son frère Louis XIII puis « Philippe Egalité » voter la mort de Louis XVI, Louis-Philippe peut se prévaloir d’avoir désapprouvé le vote de son père tout en s’engageant brillamment dans les armées victorieuses de la révolution à Valmy et Jemmapes. Alors que bon nombre d’officiers et de fonctionnaires ont préféré démissionner pour témoigner de leur fidélité à Charles X, qui d’autre que lui pourrait sortir le pays du psychodrame permanent que traverse le pays depuis 1789 ? Qui sinon lui peut ambitionner de « réparer la France », la guérir de ses blessures et sceller la réconciliation nationale ? En renouant avec le musée créé par la Révolution, et transformé depuis l’Empire en dépôt fermé au public, Louis-Philippe n’ambitionne pas de célébrer l’art français mais mettre celui-ci au service de la réconciliation entre Légitimistes, Orléanistes, royalistes, bonapartistes et républicains en intégrant la Révolution à un gigantesque récit imagé. La destruction des appartements princiers et leur transformation en musée est le prix à payer pour que Versailles ne soit plus perçue comme un château édifié à la gloire d’un homme ou d’un régime mais « à toutes les gloires de la France ».
L’esprit du temps s’y prête. Fruit du romantisme qui souffle sur l’Europe, le nationalisme naissant s’appuie sur l’essor de l’histoire en tant que discipline. Comme l’Angleterre ou l’Allemagne, la France se rêve des origines et des événements majeurs qui, à Versailles, de l’aile du Nord à l’aile du Midi, trouvent leur traduction en de vastes compositions artistiques, de Tolbiac à Wagram dans la galerie des Batailles, en passant par la Révolution dans la salle des États‐Généraux et la salle de 1792, le premier empire dans la salle du Sacre de Napoléon auquel répond l’avènement du nouveau monarque dans la salle de 1830, sans oublier l’aventure coloniale retracée par les salles des Croisades par laquelle Louis-Philippe espère flatter la noblesse et le clergé qui lui sont globalement hostiles ainsi que les salles d’Afrique restées inachevées à la chute de la monarchie de Juillet. Pour alimenter cette gigantesque saga historique, on puise dans le fond du château de Richelieu illustrant les batailles du règne de Louis XIII, dans les cartons des Gobelins les toiles historiques couvrant l’ancien régime et l’Empire. Et parce que ces oeuvres ne suffisent pas à couvrir un période qui court de Clovis jusqu’au règne de Louis-Philippe, le roi passe de nombreuses commandes auprès des artistes de son temps dont les plus talentueux sont incontestablement Horace Vernet et, bien sûr, Eugène Delacroix.
L’impossible retour après la Révolution
Alors, que faire de Versailles ? Si la résidence royale est plongée dans le silence depuis la fameuse journée du 6 octobre 1789, la question ne se pose qu’avec l’abolition de la monarchie puis l’exécution de Louis XVI. Après Varennes, les fleurs de lys et les couronnes disparaissent. Les plus beaux meubles sont vendus. Des voix se font entendre pour raser le château, le conventionnel Charles Delacroix suggérant que « la charrue passe ici ». L’opération se confirme trop coûteuse. Alors par manque de moyens, la Convention décide d’annexer le palais à la république. Après avoir décidé de la vente des meubles, les jardins sont mis en culture, les animaux de la ménagerie transférés au Muséum d’histoire naturelle à Paris. A l’instar de l’ancien couvent des Petits-Augustins transformés par Alexandre Lenoir en musée des Monuments historiques, le château accueille un musée spécial de l’Ecole française dédié aux oeuvres des XVIIe et XVIIIe siècles. Sous le premier empire et la restauration, le domaine reprend son statut de résidence mais le souvenir du départ forcé de la famille royale plane comme une malédiction et dissuade les souverains de s’y établir. « Pourquoi la Révolution qui a tant détruit n’a-t-elle pas aussi démoli le château de Versailles ? » s’interroge Napoléon qui confie finalement à l’architecte Alexandre Dufour le soin de construire un pavillon destiné à répondre à celui de Gabriel. Mais une fois encore, face au coût colossal des travaux, il renonce à lancer le chantier d’une façade monumentale néo-classique qui en aurait fait une résidence impériale digne de son union avec Marie-Louise d’Autriche. Né à Versailles qu’il quitte en 1789 à l’âge de 34 ans, Louis XVIII envisage de s’y installer lors de la restauration et fait entreprendre d’importants travaux de restauration des appartements, accompagnés de commandes pour leur ré-ameublement. Suite au retour manqué de Napoléon, il préfère toutefois renoncer à ce projet craignant qu’il soit interprété comme une provocation. Pourtant très attaché aux valeurs de l’Ancien Régime, Charles X joue également la prudence. Il se contente de poursuivre les travaux lancés par son frère sans envisager d’y résider.
Un musée pour sauver le château et la royauté ?
C’est à son successeur, Louis-Philippe, que revient le mérite de trouver une utilité à un château qui n’en a pratiquement plus. Monté sur le trône à la suite de la révolution de 1830 et de l’abdication de Charles X, le nouveau roi rejette l’idée de transformer le château en hôpital militaire ou en collège royal pour privilégier l’aménagement d’un musée consacré à l’histoire de France. Issue de la branche cadette des Bourbon qui aura vu Gaston d’Orléans s’élever contre son frère Louis XIII puis « Philippe Egalité » voter la mort de Louis XVI, Louis-Philippe peut se prévaloir d’avoir désapprouvé le vote de son père tout en s’engageant brillamment dans les armées victorieuses de la révolution à Valmy et Jemmapes. Alors que bon nombre d’officiers et de fonctionnaires ont préféré démissionner pour témoigner de leur fidélité à Charles X, qui d’autre que lui pourrait sortir le pays du psychodrame permanent que traverse le pays depuis 1789 ? Qui sinon lui peut ambitionner de « réparer la France », la guérir de ses blessures et sceller la réconciliation nationale ? En renouant avec le musée créé par la Révolution, et transformé depuis l’Empire en dépôt fermé au public, Louis-Philippe n’ambitionne pas de célébrer l’art français mais mettre celui-ci au service de la réconciliation entre Légitimistes, Orléanistes, royalistes, bonapartistes et républicains en intégrant la Révolution à un gigantesque récit imagé. La destruction des appartements princiers et leur transformation en musée est le prix à payer pour que Versailles ne soit plus perçue comme un château édifié à la gloire d’un homme ou d’un régime mais « à toutes les gloires de la France ».
L’esprit du temps s’y prête. Fruit du romantisme qui souffle sur l’Europe, le nationalisme naissant s’appuie sur l’essor de l’histoire en tant que discipline. Comme l’Angleterre ou l’Allemagne, la France se rêve des origines et des événements majeurs qui, à Versailles, de l’aile du Nord à l’aile du Midi, trouvent leur traduction en de vastes compositions artistiques, de Tolbiac à Wagram dans la galerie des Batailles, en passant par la Révolution dans la salle des États‐Généraux et la salle de 1792, le premier empire dans la salle du Sacre de Napoléon auquel répond l’avènement du nouveau monarque dans la salle de 1830, sans oublier l’aventure coloniale retracée par les salles des Croisades par laquelle Louis-Philippe espère flatter la noblesse et le clergé qui lui sont globalement hostiles ainsi que les salles d’Afrique restées inachevées à la chute de la monarchie de Juillet. Pour alimenter cette gigantesque saga historique, on puise dans le fond du château de Richelieu illustrant les batailles du règne de Louis XIII, dans les cartons des Gobelins les toiles historiques couvrant l’ancien régime et l’Empire. Et parce que ces oeuvres ne suffisent pas à couvrir un période qui court de Clovis jusqu’au règne de Louis-Philippe, le roi passe de nombreuses commandes auprès des artistes de son temps dont les plus talentueux sont incontestablement Horace Vernet et, bien sûr, Eugène Delacroix.
Lors de l’inauguration, le souverain témoigne de sa satisfaction : « Le succès de Versailles continue à être prodigieux. Ce ne sont pas seulement les Parisiens qui y vont, mais les paysans qui accourent dessous les villages. » Des personnalités politiques aussi différentes que François Guizot, Adolphe Thies, Odilon Barrot ou Louis Blanc saluent le musée. Victor Hugo, lui-même, ne tarit pas d’éloges, saluant une initiative qui installe « le présent dans le passé, 1789 vis-à-vis de 1688, l’empereur chez le roi, Napoléon chez Louis XIV » et donne « à ce livre magnifique qu’on appelle l’histoire de France cette magnifique reliure qu’on appelle Versailles. » Comme d’habitude, le grand homme a le sens de la formule mais il prête une force de conviction pour le moins excessive aux programmes iconographiques dont Versailles est coutumière depuis Louis XIV. Le musée ne sauvera ni Louis-Philippe, ni la royauté mais seulement Versailles. Et encore, pour un temps. Passé l’attrait de la nouveauté, le public se lasse et se fait rare. Au regard des libertés prises avec la vérité à une époque où la création du Comité des travaux historiques et scientifiques et de l’École des chartes valorisent les sources authentiques, le musée apparait pour ce qu’il est : un outil au service d’un impossible compromis entre république et royauté. Balzac parle d’un musée pour « un public d’épiciers » et Baudelaire pour « un public de garnisons ». Les fêtes du second empire allument les derniers feux du faste versaillais. Suite à la défaite de Sedan et à la proclamation de l’empire allemand dans la galerie des Glaces, Versailles semble basculer dans le camp de la réaction avec l’installation du gouvernement conservateur d’Adolphe Thiers et celle d’une chambre dominée par les monarchistes. Le monde ancien refuse de mourir et Versailles est son refuge.