Le comte Robert de Montesquiou, né à Paris le 19 mars 1855 et mort à Menton le 11 décembre 1921, est un poète, homme de lettres, dandy et critique d’art et de littérature.
Bien que résidant déjà à Versailles, le poète loue rue de Maurepas un appartement qui donne sur le bassin de Neptune :
Tout un coup, un désir me vint de me rapprocher du Palais ; plus qu’un désir, l’instinctive nécessité de me soumettre au contact direct, à l’immédiat effluve du Passé, afin d’en subir l’inspiration et la dictée. Je m’installai donc alors, pour une saison, dans le rez-de-chaussée du vaste et bel hôtel que possédait, à cette époque, l’éminent, le regretté Maître Cléry, près du Bassin de Neptune. J’écrivis Les Perles Rouges.
Les quatre-vingt-treize sonnets s’offrent comme une évocation des figures et des grandes heures de la monarchie absolue, hantée par le spectre sanglant de la Terreur. Le parcours historique se double d’un parcours ambulatoire, celui du poète dans le domaine de Versailles. Ce sont bien les rêveries d’un promeneur qui nourrissent le volume. Dès la préface de l’édition de 1910, Montesquiou souligne cette nouvelle démarche :
Ce plan, le voici : l’homme sensible d’hier, devenu l’émotif d’aujourd’hui, se promène, à l’arrière-saison, dans le Versailles actuel ; au fur et à mesure de ses pas et de ses pensées, un tel Automne se découvre, à ce pèlerin, plus solennel et plus poignant que partout ailleurs […].
Maurice Lobre : « Nous nous promènerons, un triste et riche Octobre,/Sous l’abri blondissant des charmilles d’ormeaux ». La maison de l’artiste se présentait comme une projection de la psyché du poète. Elle programmait une écriture du repli, l’écriture se réfléchissant dans la forte dimension méta-poétique des recueils. La sortie du poète engage un tout autre éthos. Il s’agit désormais d’entendre « la leçon que nous donnent, dans Versailles agonisant, la Nature et l’Histoire unies ; la première, avec son feuillage en proie aux ouragans, la seconde, avec ses événements, en butte à d’autres orages ». Ce « contact direct » avec l’histoire met le poète aux prises avec une communauté, un destin collectif dont il se charge d’être le « héraut ». La place éminente accordée à la nature est également une nouveauté dans la poésie de Montesquiou. Bien sûr, il s’agit de la nature domestiquée et maîtrisée des jardins à la française. Mais la Nature (souvent dotée de sa majuscule) joue un rôle de premier plan dans le recueil. Elle s’entrelace à l’histoire dont elle annonce ou rejoue les phases. La saison de l’automne sert sans cesse le parallèle entre Nature et Histoire : le roussissement des feuilles qui vont tomber, les pourpres des crépuscules sont les poignants symboles du déclin de la monarchie et de la Révolution sanglante.
La Nature, à l’Histoire, emprunte ses effets
Qu’événements, et frondaisons, la rouille mange.
Tout se pénètre, tout communique et s’échange :
Le Bois a son feuillage, et le Siècle a ses faits.
[…]
En ses transitions de l’un à l’autre règne
Qui, du feuillage roux, passe au feuillage mort,
La Nature est pareille à l’Histoire : elle saigne !
Au solo de l’écrivain esthète se substitue le duo des muses Nature et Histoire. Le pronom de la première personne se fait plus rare dans ce recueil. Il est toujours sujet d’un verbe de perception visuelle : « Je vois s’emplir leur verre, au cours de leur festin » « Dans les brandons du ciel qui brûle je crois voir/De rouges lis broyés, des lambeaux de chair tiède ». Le poète est voyant, véritablement médium, résurrecteur de fantômes et d’un passé enfoui, d’un Versailles à jamais disparu. Les quatre-vingt-treize sonnets sont autant de perles rouges dont le poète dépose le collier sanglant aux pieds du palais et du parc abandonnés, en « les regard[ant] tous deux, en Automne, agoniser avec grâce et avec grandeur ». Les thématiques qui dominent le recueil s’inscrivent donc sans conteste dans la vision d’un Versailles fin-de-siècle, déjà bien analysé. Le Versailles de Montesquiou est bien cette ville morte, dont le nom consonne selon lui avec Venise, également prisée des décadents. La rêverie sonore du poète glisse ainsi de Versailles à Venise, de Venise à Vénus et de Vénus à Vétusté, « dont la sonorité qui s’effrite et se consume » lui semble parfaitement convenir à l’ancienne cité des rois devenue « Nécropole ». S’il faut déceler ce qui distingue Les Perles rouges des recueils de l’esthète, c’est donc moins une thématique – qui demeure très fin-de-siècle – qu’une démarche éthique marquée par la sortie du poète hors de sa thébaïde et sa rencontre avec l’histoire.
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