Versailles devient-il trop doré ?

Depuis quelques années, Midas ne cesse de toucher Versailles du sol au plafond, et du château aux jardins. Parti pris historique ou choix très marketing ? Qu’on aime ou pas ce « Versailles doré », il se pourrait bien que la question n’intéresse plus grand monde.

Jamais le palais du Roi-Soleil n’aura autant mérité son nom. Dès son arrivée, le visiteur est littéralement ébloui. Les ors s’étaient estompés. Voici qu’ils brillent de mille feux. Par plein soleil, la réverbération de la dorure de la grille, des toitures du château et bientôt de la Chapelle royale est à ce point intense que la lumière en devient aveuglante. Et encore n’est-ce qu’un avant goût de ce qui attend le touriste. Depuis des années, les opérations de restauration se succèdent pour renouer avec les ors de la royauté. Loin de se limiter au château, la dorure gagne les jardins, depuis les vases et les torchères du bosquet de la Salle de Bal, l’impressionnante statue de la France triomphante, les sculptures du bassin de Latone, celle des deux bassins des Lézards, les chérubins du bassin des Enfants dorés, le géant du bosquet de l’Encelade, les figures des bassins des Quatre saisons...  

Cette extension du domaine de la dorure est diversement appréciée. Ses détracteurs la jugent « clinquante« , « bling-bling« , « vulgaire« , « kitsch » quand ses partisans estiment que l’or sied parfaitement au château du roi soleil. Entre les deux, un public de sceptiques pour qui la patine du temps et les effets de la pollution se chargeront d’apaiser les termes du débat.

Un peu trop doré pour être honnête 

Jusqu’à une date récente, la feuille d’or était la technique privilégiée dans les opérations de restauration extérieures. Plus récemment, néanmoins, quatre bassins – ceux des Quatre saisons – ont adopté une autre technique, celle de la bronzine dont l’effet mat n’a rien à voir avec le brillant spectaculaire de la feuille d’or.

De fait, l’ancien régime connaissait plusieurs forme de dorure dont deux étaient couramment pratiquées. La première, dite dorure au mercure, est un mélange de mercure et d’or en fusion. Selon un professionnel, ce procédé donne une « très belle dorure, très solide et durable ». Mais elle souffre de deux inconvénients : un caractère hautement toxique (bien connu au XVIIe siècle) et  une application limité aux petites surfaces. Seconde technique : la dorure au vernis. Ici pas d’or mais un vernis de couleur jaune appliqué sur du laiton chauffé. En toute logique, le résultat est moins doré que mordoré. Son atout majeur : un faible coût. Son principal inconvénient : une faible résistance au temps.

Or il semble bien que ce soit cette « fausse dorure » qui prévalu dans les jardins de Versailles aux XVIIe et XVIIIe siècles. Rien à voir donc avec ce qui se pratique aujourd’hui.

Habituellement prolixe sur les partis pris des différentes restaurations, le château ne dit pas autre chose lorsqu’il se contente de préciser au sujet de la restauration du bassin de Latone que « les doreurs sur métal utiliseront la technique traditionnelle de dorure à la feuille » en se gardant bien de préciser que la technique retenue, aussi « traditionnelle » soit-elle, n’a rien à voir avec celle qui était utilisée sous la monarchie.

Quand les gardiens du temple refont le temple

Se pourrait-il que les responsables de Versailles s’autorisent quelques libertés avec l’histoire ? En tout cas, ce ne serait pas la première fois. La tentation existe même depuis le XIXe siècle. Conservateur du musée du château de 1892 à 1919, Pierre de Nolhac raconte dans ses mémoires les restaurations pour le moins hasardeuses et souvent malheureuses d’une époque où il était difficilement concevable de demander à des artisans sculpteurs de reproduire une oeuvre à l’identique sans leur concéder une part de liberté créative. Pionnier de la restauration du patrimoine national, Viollet-le-Duc était le premier à défendre l’idée que « restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné« . Depuis la Charte de Venise adoptée en 1964, cette conception imaginative de la restauration a fait place à une conception plus respectueuse de toutes les époques qui marquent la vie d’un édifice, le retour à un état originel n’étant plus un objectif en soi, a fortiori si cet état n’a jamais existé. Et pourtant, les gardiens du temple qu’est Versailles sont loin d’avoir toujours respecté cette règle.

L’épisode le plus spectaculaire de la liberté que s’accordent de temps à autre les architectes en chef censés garantir le respect des travaux de restauration fut la re-création de la grille royale. Destinée à séparer la Cour de marbre et la Cour royale de la Cour d’honneur,  cette grille réalisée vers 1680 fut déposée un siècle plus tard, sous Louis XVI, pour permettre la construction d’une nouvelle aile : le pavillon Gabriel. Au début des années 2000, la direction de Versailles prend la décision de la reconstituer. Ce n’est pas le seul problème mais il est de taille : cette reconstitution ne correspond à aucun état antérieur puisque la grille reliera au XXe siècle deux pavillons qui n’existaient pas sous Louis XIV, le pavillon Grabriel construit à la fin de l’ancien régime, et le pavillon Dufour, érigé après la Révolution. Tollé général. Didier Rykner parle de « vandalisme officiel » dans La Tribune de L’Art. Jean-François Cabestan évoque un « faux historique » dans la revue AMC. Alexandre Gady, maître de conférence à la Sorbonne, dénonce un « monstre anhistorique » dans le magazine Connaissance des Arts. Encore plus dur, Adrien Goetz s’inquiète dans Le Monde de possibles conflits d’intérêt : « dès qu’on trouve un mécène, les architectes en chef, qui prennent 10 % sur chaque chantier, lui proposent des reconstructions mirobolantes, comme cette monstrueuse grille dorée », une grille dont le coût se monte dans le cas présent à cinq millions d’euros. 

Attaquée de toute part, la direction du musée se défend d’avoir pris des libertés avec l’histoire tout en évoquant dans le même temps la nécessité de mieux organiser les flux de visiteurs. Contre l’évidence, l’architecte en chef n’hésite pas à le clamer : « La grille royale a repris vie et forme. Elle est fidèle à ce que Louis XIV avait sous les yeux. » et « ce qui est passionnant, c’est que cette grille apporte à travers l’histoire des réponses à des besoins actuels ». Du « deux en un », en somme…

Culture de l’épate et retour à l’esprit des origines 

C’est dire si le peu de fondement historique de l’entreprise actuelle de dorure généralisée ne fait pas peur aux responsables de Versailles. On peut bien les critiquer. Ils en ont vu et en entendu d’autres. Versailles trop doré ? Allons donc ! Mais qui cela peut-il intéresser de savoir si cette dorure est ou non authentique !? Versailles est désormais une entreprise. Et, chose peu courante dans le domaine culturel, une entreprise qui marche plutôt bien. En 2018, le domaine a accueilli 8 millions de visiteurs. Un record dans l’histoire du château. Pour autant, l’entretien des bâtiments et des jardins nécessite des sommes colossales. Alors que l’argent public se fait plus rare, il ne s’agit pas de se reposer sur ses lauriers mais de rester attractif, aussi bien auprès des visiteurs que des donateurs.

De ce point de vue, Versailles renoue finalement avec une culture de l’épate qui, il faut bien le reconnaître, fut à l’origine du projet louisquatorzien. J.J. Aillagon, alors président du domaine de Versailles, ne s’est-il pas écrié le jour de l’inauguration de la grille royale dans la cour du château : « Avec les dorures des toits et le rétablissement de la grille royale, ce sera spectaculaire !«  La seule façon d’en donner pour leur argent aux riches donateurs et de rendre Versailles un peu plus instragramable pour les touristes consisterait ainsi à trahir l’histoire du château pour mieux rester fidèle à l’esprit des origines. Sur ce plan au moins, nul ne peut le contester : l’objectif est atteint. Quant à la vérité historique, qui s’en soucie encore ?

Franck Gintrand

A lire 

Versailles, en mieux (ou comment des bassins « vicieux » deviennent des bassins durables)Didier Rykner, 17 mai 2016

Grille en stuc pour un Versailles en toc, Bernard Hasquenoph, 26 aout 2008

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Histoire du jardin 

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Publié par artotec

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