Abîmé par le temps, le petit village normand de Marie-Antoinette va enfin être restauré grâce au mécénat de Dior. Dans un an, la Maison de la reine et le Réchauffoir ouvriront leurs portes au public. Dernière visite… avant travaux. Le récit de Point de Vue.
Dans la tiédeur de ce début d’après-midi d’été montent des parfums de chèvrefeuille et de jasmin. Par les fenêtres grandes ouvertes, Marie-Antoinette entend Marie-Thérèse et Louis-Joseph se chamailler pour des tours d’escarpolette. Assise à sa table de trictrac, l’épouse de Louis XVI distingue au loin le battement sourd et régulier de la roue du Moulin, les roucoulements échappés du Pigeonnier, le vacarme caquetant de la cinquantaine de poules blanches -ses préférées- que le fermier Valy Bussard a fait livrer le matin même.
Une ré-ouverture pour l’été 2016 grâce à la maison Dior
1787, année reine. Loin des antichambres argentées du château et de la ruche sans gloire de ses courtisans, la souveraine se repose du monde dans son Hameau normand tout neuf, une grappe de onze maisonnettes à colombages ramassée autour d’un lac, où, accompagnée de ses enfants et de quelques amis, elle vient, dès que l’étau de la Cour se desserre, respirer le grand air de la liberté. Tout, ici, lui paraît plus beau, plus clair, plus précieux, plus désirable que la pourpre et les marbres de Versailles. Sourde aux orages qui grondent aux portes des Bourbons, protégée des menaces du dehors -du moins le croit-elle- par cette illusion de village ensoleillé, cette vie « paysanne » simple et frugale dont elle a fait son idéal, Marie-Antoinette ignore que deux années seulement la séparent de la Révolution et de ses abîmes. Bientôt, le Hameau et ses chaumières sombreront à leur tour dans un interminable hiver.

Une réplique de petit village normand aux allures de décor de cinéma.
Courtesy of Luc Castel
Un peu plus de deux siècles et bien des tourments plus tard, cette bourgade de fantaisie au charme inexprimable, creuset des espoirs et des rêves enfuis de la plus célèbre des reines de France, continue de dresser ses chaumières d’ocre et de roseau au nord de Trianon. Les révolutionnaires ont songé à la diviser en lots et à la vendre aux enchères, elle a ensuite été livrée pendant plusieurs années aux outrages du temps, partiellement remise en état par Napoléon Ier à l’intention de sa seconde épouse, Marie-Louise, puis sauvée du désastre par le milliardaire américain John Davidson Rockefeller au début du XXe siècle. Depuis plusieurs décennies, elle était rongée par une petite mort silencieuse, prisonnière d’une gangue de poussière, de dalles descellées et de bois émiettés. Elle est entrée, il y a peu, dans une phase de restauration sans précédent.
Grâce au mécénat de Dior, soutien indéfectible de Versailles, la Maison de la reine, deux corps de bâtiment reliés par une galerie de bois, ainsi que le Réchauffoir attenant retrouveront en effet à l’été 2016 leur caractère et leur apparence d’antan. Le chantier -cinq millions d’euros- s’annonce d’ores et déjà comme le plus important de l’histoire du Hameau.
« Le Hameau était un lieu de plaisir »

Le salon du premier étage, la pièce principale de la Maison de la reine.
Courtesy of Luc Castel
« On venait ici pour déjeuner, passer l’après-midi, c’était avant tout un lieu de plaisir, raconte Jérémie Benoît, conservateur en chef au Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Il avait été conçu pour Marie-Antoinette et pour elle seule, après elle, il aurait sans doute été démoli ou rebâti sous une autre forme. D’où cette construction légère, ces murs posés à même la terre, sans fondations, ce qui explique leur état de dégradation assez avancé. » Des sols disjoints, des peintures « fausse pierre » grignotées par l’humidité, un entrelacs d’escaliers courant de pièces exiguës privées d’âme en salons où quelques cheminées de marbre émergent intactes d’un désordre de plâtres, de revêtements muraux délavés et d’objets couverts de rouille…
« Voyez ces rampes, ces attaches de rideaux, ces corniches antiquisantes, cette peinture ocre, poursuit Jérémie Benoît. Tout est d’origine. » Lorsque l’architecte Richard Mique s’attelle à sa construction, en 1784, le décor – une scène de plus pour les rôles de bergère que la souveraine aime tant interpréter au théâtre- prend la forme d’un château « dispersé », avec son Boudoir, sa Maison du billard et son Réchauffoir, un bâtiment de service -doté d’un fourneau de vingt-deux feux- en lien avec la salle à manger de la Maison de la reine. On le dote de dépendances: une grange, rapidement transformée en salle de bal -aujourd’hui disparue-, une laiterie de préparation, une laiterie de propreté, une maison de gardien, une pêcherie surmontée d’une tour et une ferme où s’ébattent de multiples têtes de bétail gérée comme une véritable exploitation agricole. L’ensemble s’inscrit dans la sensibilité de l’époque -un courant artistique et social qui tend à exalter le retour à la nature et la vie des « petites gens ». Il est aussi destiné à une mission éducative pour le dauphin Louis-Joseph.

L’escalier intérieur, entièrement d’époque.
Courtesy of Luc Castel
Les façades cachaient des appartements raffinés
Un ru traversé de ponts « rustiques » isole la partie résidentielle, dont les façades peintes « en vétusté » par les entrepreneurs Tolède et Dardignac cachent alors des salons et des petits appartements raffinés, mais sans ostentation particulière, ornés de lambris façon acajou, de soies fleuries, de toiles de Jouy, de tapisseries brodées en laine et en vannerie, et de meubles provenant des ateliers de Jacob et Riesener. « La teinte dominante était un vert d’eau très pâle, comme au Petit Trianon, poursuit Jérémie Benoît. Nous ne disposons malheureusement pas de suffisamment de meubles de l’époque Louis XVI en raison des ventes révolutionnaires, voilà pourquoi nous reconstituerons l’intérieur de l’impératrice Marie-Louise, dont le mobilier a, quant à lui, été en grande partie conservé. Les inventaires de 1810 nous donnent des informations très précises sur les couleurs et les étoffes, sur lesquelles travaillent déjà les manufactures Prelle et Tassinari & Chatel, ou encore les passementiers Declercq. Avant cela, il nous faudra évacuer l’humidité -dont le taux atteint 90 % dans certaines pièces. Nous allons donc extraire l’air ambiant, puis pulser de l’air sec par les cheminées. »
Des récits d’autrefois racontent les potagers plantés de haricots, d’artichauts et de choux de Milan, qui entouraient chaque maison, les roses et les clématites dansant en guirlandes le long des murs, les quelque 1 300 pots blanc et bleu en faïence de Saint-Clément, débordant de fleurs et décorés au chiffre de Marie-Antoinette, disposés sur les étagères, les rebords des fenêtres, les escaliers. « Tous les jardinets, révèle encore Jérémie Benoît, seront remis en état d’après les anciens plans. » Le Hameau, bel endormi, entame son long retour à la vie…
Par Isabelle Rivère, (Point de Vue) publié le 01/07/2015