André Le Nôtre

Bosquet du Nouveau Théâtre d’eau de Versailles : six mois de retard

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Pour la première fois, une œuvre d’art contemporain pérenne va s’installer dans le domaine royal. Le château a déjà exposé des artistes – et provoqué, à l’occasion, la polémique – en accueillant Jeff Koons ou Takashi Murakami. Actuellement, ce sont les sculptures épurées et très belles du Sud-Coréen Lee Ufan qui ont investi le parc.

Un mécène impliqué dans un scandale 

Cent quarante candidats postulent au concours et un tandem franco-français est retenu : le paysagiste Louis Benech et l’artiste Jean-Michel Othoniel. Depuis, les deux hommes travaillent de concert, partageant « la même vision d’un jardin hédoniste où les promeneurs s’arrêteront pour un moment d’émerveillement », comme l’explique le sculpteur.

Louis Benech dessine un grand bassin allongé avec à chaque extrémité une île et une presqu’île – la fosse d’orchestre du théâtre, en quelque sorte. Derrière, un deuxième plan d’eau s’étire : la scène. Sur chaque bassin, des groupes de sculptures contemporaines se déploient. Des chapelets de perles de verre dorées dessinent des arabesques, et les boucles se terminent en jets d’eau. On entrera dans le jardin par le bas pour se retrouver face à ce nouveau théâtre d’eau un peu en hauteur, avec le soleil se reflétant dans l’or des perles… Date annoncée de l’ouverture de ce cabinet de verdure : septembre 2014.

Mais tout ne tourne pas parfaitement rond dans ce bosquet carré. Le coup de théâtre est d’abord financier. Le mécène accepté par Versailles, le Sud-Coréen Ahae (un pseudonyme), a promis de verser près de 5 millions d’euros, selon une source. Problème : la famille de ce chef d’entreprise et photographe amateur prolifique, de son vrai nom Yoo Byung-eun, se trouve être la propriétaire d’un ferry qui a coulé en avril dernier au large de la Corée du Sud, naufrage qui a causé la mort de plus de 300 personnes dont de nombreux collégiens. Un drame national. Après cette tragédie, le millionnaire arrête de verser de l’argent à Versailles (il a alors déjà abondé la moitié du financement). Dans le même temps, un blogueur spécialisé dans la vie des musées français, Bernard Hasquenoph du site Louvrepourtous.fr, révèle les liens embarrassants de M. Yoo – alias Ahae –, mécène également du Louvre, avec la société coréenne incriminée dans ce naufrage. Une enquête est en cours au pays du Matin calme.

« Il faut se rappeler qu’en 2012, quand nous avons décidé d’accueillir ce mécène, ni les autorités françaises ni les autorités coréennes n’ont émis d’avis négatif. L’ambassadeur de Corée était présent à l’inauguration d’une exposition de photos d’Ahae à l’Orangerie de Versailles », précise Catherine Pégard, à la tête de l’établissement public.

La présidente annonce au JDD que « les engagements seront respectés ». « C’est une aventure formidable, les travaux sont bien avancés, nous ne les arrêterons pas. » Le château recherche un autre donateur. « Et s’il le faut, nous engagerons les fonds propres de l’établissement. » « Le projet n’est pas remis en question, j’ai eu très peur à un moment, reconnaît Jean-­Michel Othoniel. Face au doute qui pèse sur cet entrepreneur coréen et cette société, je suis heureux que Versailles cherche d’autres mécènes. Si cela n’avait pas été fait, je l’aurais demandé. Les œuvres doivent être libres et ne pas être entravées par une telle histoire. »

À ces difficultés se sont ajoutés des aléas de chantier, ce qui expliquerait le retard de six mois. « Nous avons eu un hiver extrêmement pluvieux et encore des averses à répétition en ce début d’été, ce qui nous a gênés, raconte Louis Benech. En plus des retards liés à la météo, nous avons pris le temps de sonder les sols avec des ondes afin de localiser les vestiges du bosquet d’antan, les goulottes des jets d’eau historiques notamment, que nous avons préservés. Tout repose intact, dormant sous nos pieds. » Lorsque l’équipe a creusé un local technique – pour les pompes électriques qui alimenteront les jets d’eau –, elle a eu la mauvaise surprise de tomber sur une nappe phréatique non détectée par les géotechniciens. « C’était la mare aux canards.

Des arbres centenaires qui datent de Le Nôtre 

Du côté de l’artiste, le travail est aussi fastidieux. Le maître verrier bâlois engagé par Jean-­Michel Othoniel a déjà soufflé plus de 1.400 boules de verre, mais il lui en reste encore plus de 500 à créer. Elles pèsent chacune de 3 à 7 kg et sont des merveilles d’artisanat et d’adresse : le trou à l’intérieur est en effet courbe afin de suivre la forme de la tige d’acier. Après le maître du feu, les petites mains agiles. Il a fallu appliquer minutieusement des feuilles d’or (22.000 en tout) à l’intérieur de chaque perle.

« C’est un énorme chantier, 1,5 hectare, décrit Louis Benech, même si, à l’échelle de Versailles, c’est un battement de cils. Tout est relatif, le retard aussi. Nous avons déjà planté 45 chênes verts sur les 90 qui ombrageront le bosquet. Et les premières perles vont être posées la semaine prochaine sur une des tiges. Il faudra aussi faire les essayages de jets d’eau pendant plusieurs semaines pour bien les régler. »

Jean-Michel Othoniel est résolument optimiste, il voit plein de petites coïncidences annonciatrices d’une conclusion positive. « Le premier petit miracle, c’est d’avoir été choisi par Louis Benech, c’est lui qui est venu me chercher », se remémore-t?il. « Je voulais un artiste qui ne soit pas conceptuel et qui ait une part d’enfance dans sa création », lui répond son complice. « Et puis, ajoute l’artiste, cette création est survenue au bon moment, à 50 ans, alors que je me sens prêt, que j’ai la maturité nécessaire. J’étais complètement libre, mais quelle responsabilité, quelle pression de créer dans un tel environnement historique! » Louis Benech a choisi justement de garder deux arbres pluricentennaires : un buis et un if, tous les deux poussant sur l’île qui a été créée pour eux. « Ils datent de Le Nôtre ou sont des semis spontanés d’arbres de cette époque. Nous sommes dans une société de l’instantanéité. Mais pour un jardin, l’échelle temporelle se compte en dizaines d’années. Le bosquet ouvrira au printemps, mais il aura acquis sa pleine stature dans trente ans. » Patience, la renaissance prendra du temps.

Marie-Anne Kleiber – Le Journal du Dimanche

dimanche 13 juillet 2014

 

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